Porte-avions français : par qui ont-ils été achetés ? Commandés ?

4/2/12

 

Article blog Le fauteuil de Colbert


Aux visiteurs étrangers qui fréquenteraient ce blog, j'aimerais avoir la politesse de les prévenir que la France est en pleine campagne présidentielle ! Le régime politique de la Ve République privilégie, dans une certaine mesure, le bipartisme, c'est-à-dire, l'articulation de la vie politique française autour de deux grands partis. C'est tout le sens des élections uninominales à deux tours. Ces deux partis, à l'heure actuelle, sont le parti socialiste (PS) et l'union pour un mouvement populaire (UMP). Ils ont eu bien des ascendants (PSU, UDF, RPR, etc.). Il n'est pas question d'entrer dans des considérations constitutionnelles "techniques". Mais, il y a deux choses à dire sur cette Ve République, et plus généralement sur les Républiques :
•    la première est un débat qui semblerait se dessiner autour du régime politique français le plus profitable à la Marine Nationale. C'est un débat long et complexe qui nécessiterait bien plus que des billets ;
•    l'autre chose à dire est plutôt une question : qui a commandé et acheté les porte-avions français ?
Pendant toute campagne présidentielle française, la Défense finit bien, un jour ou l'autre, par faire son apparition dans les débats. Disons-le tout de suite, les questions militaires sont rarement étudiées par les partis, et quand elles sont abordées, c'est pour mieux confirmer la première affirmation. Dans l'actuelle campagne, un "double consensus" semble se dessiner entre les deux candidats, avérés ou non, des deux principaux partis :
•    ne pas en parler : caractéristique surprenante en considération de ce qui est habituellement écrit, mais, de facto, il semble bel et bien que ce soit le cas ;
•    se mettre d'accord sur les axes majeurs : la dissuasion, la force aéronavale, le spatial, etc.
Ce consensus "mou" ne produit pas de débats stratégiques vivifiants. Non pas que ces débats n'existent pas, mais ils n'existent pas sur la place publique -et constater qu'il fait froid en hiver et que la guerre tue n'est pas un débat. Par contre, il arrive à la politique de reprendre ses droits, et de permettre aux deux partis principaux de s'écharper sur les questions militaires. L'une des rares questions qui échappe au "consensus mou" est : lequel des deux partis est le plus bénéfique pour les forces armées françaises ? Je vous laisse imaginer qui s'estime d'ores et déjà "plus bénéfique" que l'autre.
 
S'il n'est pas (encore) possible de prendre la question dans son ensemble, il peut être intéressant, distrayant de répondre partiellement à cette question en se demandant lequel des deux grands partis, voir courant politique (puisque la question transcende les Républiques), a acheté et commandé le plus de... porte-avions. Le navire, emblématique fleuron des flottes de combat depuis la seconde guerre mondiale, est un des biais qui va permettre d'aborder cette question.
 
Georges Leygues déposa un statut naval devant le Parlement le 12 janvier 1920. Celui-ci prévoyait l'achèvement de deux coques des cuirassés de classe Normandie, programme de cuirassés (12 pièces de 340mm) qui fut gelé du fait de la Grande guerre et qui ne redémarra pas à la fin de celle-ci, en porte-avions. L'activisme d'une partie de la Marine, et le voyage d'une commission française en Angleterre pour observer le HMS Argus, premier porte-avions au monde (sous quelques réserves). Si le projet de statut naval du ministre n'est pas adopté par le Parlement, il servira pourtant de base à la reconstruction de la Marine nationale sous l'entre-deux-guerres. C'est pendant cette période que l'on distingue l'oeuvre de l'amiral Durand-Viel et du futur amiral Darlan (qui aura tendance à tirer toute la couverture à lui sur cette reconstruction). Finalement, une seule coque des cuirassés de classe Normandie sera achevée en porte-avions. L'histoire de France aurait-elle changé avec deux porte-avions dans les années 30 ? Difficile à dire, en si peu de lignes, mais il faut bien noter que le Béarn était "condamné" comme navire de combat du fait de ses défauts (la vitesse), mais aussi du fait de ce qui ressemble à un "refus" de l'envoyer au combat. Au demeurant, son plus grand défaut est des plus actuels : ses avions étaient obsolètes. La vitesse ? Les cuirassés italiens n'étaient pas particulièrement rapides, et avaient sensiblement la même vitesse d'évolution que le premier porte-avions de la Royale."Détail" important puisque le partage naval franco-anglais attribue la Méditerranée à la Marine nationale, en grande partie.
Le ministre George Leygues, »Colbert » de la IIIème République, était positionné politiquement dans le "centre-droit" de l'époque.

La seconde guerre mondiale se passe dans les raisons que l'on sait, et étonnamment, le Béarn y survit, malgré toutes les choses qui ont pu être dites sur lui. En réalité, cette survit au combat est tout simplement le fait que le navire n'a pas été engagé dans les combats : en mai 1940 il sert à évacuer l'or de la Banque de France mais il est finalement dérouté aux Antilles, où il resta pendant toute la guerre. Bien que les ponts plats prennaient un relief particulier, personne, semble-t-il, souhaita engager le navire quand la France rentra dans la guerre, pour gagner un éclate politique supplémentaire, alors que le rôle des cuirassés était de plus en plus relatif.

Le Béarn servit surtout, après la deuxième déflagration mondiale, a transporter les aéronefs français nécessaires à la reprise de l'Indochine, encore aux mains des japonais. C'est le conflit indochinois qui va, en grande partie, presser Paris de se doter de nouveaux porte-avions. Ce seront les Arromanches (1946 - R95), Dixmude (1946 - A609), LaFayette (1951 - R91) et Bois Belleau (1953 - R97) qui rejoindront spécialement la Flotte pour le conflit indochinois. Ils sont tous de construction étrangère : à part l'Arromanches qui est l'un des porte-avions de classe Colossus vendu par Londres à ses alliés (les autres unités finiront au Canada, en Australie, en Inde, au Brésil), tout les autres sont des anciens porte-avions d'escorte (CVE) de l'US Navy. A noter que les porte-avions Arromanches et LaFayette participeront à la crise de Suez (1956), ce qui mettra en exergue l'absence de continuité opérationnelle entre l'Indochine et cette intervention, ce qui se traduisit par une grande perte de savoir-faire aéronaval.

Le Dixmude entre en service le 26 juillet 1945 dans la Marine nationale pendant la mandature du Gouvernement Provisoire de la République Française. Il s'agissait d'un gouvernement d'union nationale mêlant toutes les tendances, ou presque. Il est donc difficile, sans un travail d'historien pertinent et sérieux, la prépondérance d'un parti ou d'un homme. Il en irait de même pour l'Arromanches qui pris le service le 6 août 1946, donc sous l'autorité du GPRF.
L'affaire n'est pas plus clair pour les deux unités suivantes, les La Fayette et Bois Belleau, puisque si elles rejoignent les rangs de la marine française sous la seconde législature de la IVe République, cela n'indique pas que tout le mérite en revient à celle-ci. Cette législature est plutôt de couleur bleue, du courant politique de droite, en somme. Il semblerait que l'on puisse, sous bien des réserves, lui attribuer l'entrée en service du Bois Belleau. Mais le doute est plus grand sur le La Fayette qui rejoint tout juste la Royale au début de cette législature. L'obtention de ces deux navires est-il le fait de la seconde législature ? Plutôt de la première aux couleurs plutôt roses ? La question est complexe, surtout que la position de Washington a grandement fluctué pendant le temps de la Guerre d'Indochine sur l'attitude à adopter vis-à-vis de la France.
 
Après bien des péripéties, la France se décide à construire deux porte-avions de construction nationale, après avoir écarté bien des projets, comme la conversion du cuirassé Jean Bart en porte-avions, et le PA-28 Clemenceau, pour les plus emblématiques. Les deux porte-avions Clemenceau sont mis sur cale en 1955 et en 1957 après avoir été inscrit aux budgets des années 1953 (Clemenceau) et 1955 (Foch). Le programme aurait donc été formalisé sous la seconde législature de la IVe République (1951-1956). Faut-il en attribuer une partie du mérite aux gouvernements de la législature précédente ? Je tendrais à avoir une position arbitraire : il y a eu bien des projets de porte-avions français, même sous le régime de Vichy, et il n'y a eu personne pour prendre la décision.

La construction du Charles de Gaulle est l'aboutissement d'un long processus doctrinal très riche. Il aura été question de deux porte-hélicoptères à propulsion nucléaire (les PH75) dans le plan naval de 1973. La Guerre des Malouines de 1982, et les espoirs déçus des avions ADAV de la génération du Harrier ont certainement contribué à l'abandon de ces deux unités. Elles ressurgiront sans réacteur nucléaire sous la forme deux trois, et bientôt quatre, BPC. Les deux PA75 prennent la relève et aboutiront au seul Charles de Gaulle.

L'Histoire est encore une fois d'un humour sans faille : les Provence et Bretagne deviennent les Richelieu et R92. Le nom du R91 devient Charles de Gaulle sous l'influence du Premier ministre Jacques Chirac en mai 1986. Cependant, la Défense nationale est un des domaines réservés du Président de la République : les décisions de lancement et de réalisation des programmes militaires lui appartiennent (il suffit de se souvenir dans quelles conditions a été révisé le Livre blanc en 2007-2008). C'est donc avec une ironie d'une rare force que le porte-avions nucléaire est mis en chantier sous la présidence de l'auteur de "Le coup d'Etat permanent" (1964) : le Président François Mitterrand. Grand pourfendeur, à son avènement, de la Ve République, il est à ce jour le seul avoir effectué deux septennats. C'est à l'investiture du président suivant, Jacques Chirac en 1995, qu'il sera possible d'apprendre que l'ancien président socialiste vouait une admiration certaine pour le premier président de la Ve République.

Ironie suprême : François Mitterrand est le seul président de la Ve République à avoir commandé un porte-avions ! Toutes les autres unités relèvent de la IIIe et de la IVe République !
 
Donc, un gouvernement d'union nationale (sous réserves) aurait contribué à doter la France de deux porte-avions (Dixmude et Arromanches). Les porte-avions de complément suivant, les La Fayette et Bois Belleau, auraient rejoint la Flotte grâce à une législature de droite. Cette même législature qui a lancé le chantier des Clemenceau et Foch. Enfin, c'est le premier président de gauche de la Ve République qui a lancé la construction du premier porte-avions nucléaire français, sans commander la seconde unité (était-ce du seul fait de la préparation de la France au marché unique ?).
Depuis les années 90, personne n'a pris la responsabilité de construire le R92 Richelieu, ni le PA2. Il y a eu une tentative pendant le second mandat de Jacques Chirac, avec Michèle Alliot-Marie comme ministre de la Défense. Tentative combinée à un projet commun avec les anglais grâce à la décision de ce président d'adopter une propulsion classique pour le futur bâtiment (du domaine réservé ?). Tentative trop tardive, le projet est annulé par le nouveau et actuel Président de la République.

Les livres blancs de 1994 et 2008 disent la même chose : la construction d'un second porte-avions est conditionnée par les situations financières et économiques de la France.
 
Pour rétablir l'équilibre entre les deux grands courants politiques français, le candidat socialiste pense-t-il à cultiver sa ressemblance jusqu'à imiter l'ancien président Mitterrand ? Il ne faudrait pas que la commande se fasse au détriment de tout les outils de la Marine, comme en Angleterre. Néanmoins, ce serait intéressant de voir si la Marine continuait à prendre de l’importance dans les débats politiques. L'UDF s'était exprimé dans son livre-programme sur la Défense (1986) pour trois porte-avions, et un des successeurs de ce parti (Hervé Morin) se prononce pour le second porte-avions au détriment de l'Armée de l'air (lien ci-dessus).
 
Il n'est pas question de prétendre à devenir qui sera le vainqueur de l'élection présidentielle. Ce n'est pas le rôle de ce blog. Mais entre les discours politiques et la "réalité" (il est nécessaire de pondérer les propos de ce blog, l'auteur n'est pas historien), il semblerait qu'il n'y ait pas forcément un parti politique plus profitable qu'un autre à la Défense. Surtout si toutes les questions militaires sont considérées ensembles.
 
 

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